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L’Histoire au Cinéma : Kingdom of Heaven

Pour ce nouveau numéro de L’Histoire au Cinéma, on fait encore un bond dans le temps pour se retrouver à l’époque des Croisades.

Robin et William ont décidé de s’attaquer à un gros morceau : Kingdom of Heaven de Ridley Scott, film dans lequel Orlando Bloom y campe un jeune forgeron qui se retrouvera en Terre Sainte.
Si le film bénéficie de qualités visuelles irréprochables, on peut s’interroger sur la véracité des faits historiques traduits à l’écran d’autant que le pitch lui-même n’est finalement qu’un cliché.

Voici tout ce qu’il faut savoir sur l’Histoire avec un grand H dans Kingdom of Heaven.

 

Kingdom of Heaven est un film réalisé par l’américain Ridley Scott et datant de 2005. Le film narre le périple d’un jeune forgeron, Balian, (Orlando Bloom) qui, retrouvé par son père, sera amené à suivre ses pas sur les chemins menant à Jérusalem. Le film n’eut pas un très grand succès commercial malgré un budget qui se traduit dans la réalisation par la mise en place d’éléments de reconstitution historique assez impressionnants. C’est sans doute une des meilleures illustrations que l’on peut trouver du genre épique au cinéma, le but étant d’exalter l’honneur et le sentiment chevaleresque tel que la société occidentale actuelle l’a idéalisé. Malgré tout, il est important de souligner que ce film demeure largement romancé, même s’il s’inspire, cela est vrai, de faits historiques. En effet, le film cherche à véhiculer auprès du spectateur ce caractère épique, ce qui amène à faire des choix amenant à l’obscurcissement de certaines vérités.

Croisades, croisés, des termes galvaudés ?

Tel Corneille au théâtre, les américains ont parfois tendance à vouloir présenter à l’écran des personnages répondant à des idéaux tellement ressassés qu’ils se sont inscrits dans la culture populaire. Il en résulte que, pour beaucoup, la chevalerie rime avec l’honneur, le sentiment du devoir, l’assistance aux plus faibles, la loyauté. Mais bien des historiens, comme George Duby ont démontré le contraire. En effet, le chevalier, historiquement, est avant tout, dans ses actions, motivé par l’appât du gain, et son honneur n’est bien souvent qu’un déguisement aux avantages sous-jacents à ses actions. Nous n’irons pas jusqu’à dire que les chevaliers étaient tous de vulgaires mercenaires hypocrites, mais ce sont des considérations qui permettent d’écorner une image souvent trop immaculée.

Un film sur les croisades ? Pas tout à fait. Le terme de croisade est ambigu et tardif, se traduisant tantôt par de simples voyages en Orient, et souvent par la conquête de la Terre Sainte, là où vécut le Christ, dans le royaume de Jérusalem. Néanmoins, si ce terme peut être utilisé à tout va, on l’emploie d’ordinaire en référence aux différentes expéditions entreprises par les autorités ecclésiastiques ou royales dans le cadre de la conquête de cette terre sainte. L’histoire du film se situe en fait à un moment de paix relative, au XIIème siècle, aux alentours de l’an 1187, cette même année où eut lieu le siège de Jérusalem : En effet, les croisés y perdirent bel et bien la ville de Jérusalem au profit des musulmans, et cet événement fragilisa au plus haut point le royaume constitué par les précédentes croisades. On considère que c’est cette défaite finale dont nous fait part le film qui est à l’origine de la troisième croisade, de 1189, motivée par le pape Grégoire VIII et suivie par Richard Cœur de Lion. Historiquement, le très retouché Balian a bel et bien participé à la défense de Jérusalem (on atteste même l’exactitude de cet adoubement généralisé où il aurait fait chevalier une soixantaine de personnes) mais il n’a pas refusé de participé à la troisième croisade et est resté en terre sainte par la suite.

Les personnages principaux, tirés par les cheveux.

Le film Kingdom of Heaven, de Ridley Scott s’appuie sur des personnages historiques véridiques hauts en couleurs, tantôt empreints de dramaturgie, tantôt d’héroïsme et de démesure, à l’image d’une époque qui a fasciné l’historiographie, les romans, et désormais donc les œuvres cinématographiques…

Nous nous arrêterons ici à l’étude de cinq personnages qui se détachent dans la mesure où ils représentent des positions prises par le réalisateur dans le but de transformer l’Histoire, la vraie, en scénario de cinéma acceptable : Baudouin IV, roi de Jérusalem, Saladin, Renaud de Châtillon, Guy de Lusignan et bien sûr Balian.

Il est assez intéressant de constater que le film met en avant un duo Baudouin (le roi lépreux de Jérusalem)-Saladin, à la tête de la dynastie ayyoubide, à la fois ennemis et respectueux l’un envers l’autre, même si, au moment des faits relatés par le film, dans les années 1183-1185, la lèpre qui touche le Roi ne lui permet pas de résister à un Saladin à la tête d’une armée aussi immense que puissante. Mais avant ces événements, les deux hommes se sont livrés de farouches batailles, Baudouin se donnant comme objectif ultime la prise de Damas, Saladin celle de Jérusalem. En 1177, la bataille de Montgisard, remportée par les Occidentaux, opposait déjà les deux hommes. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’une relation privilégiée se soit établie entre les deux dirigeants, du fait de ces passes d’armes mémorables. Certains suggèrent qu’en apprenant la mort de Baudouin, Saladin aurait été accablé, jusqu’à porter son deuil, conscient d’avoir perdu un digne rival, qui respectait sa force. Ridley Scott a choisi une certaine esthétique pour Baudouin le Lépreux, lui faisant porter un masque argenté, ce qui, bien évidemment, n’est confirmé par aucune source historique. Le réalisateur, dans une pure invention, lui confère un apparat à la fois à la hauteur de sa noblesse et de sa réputation, elle intacte, de Roi jeune, fougueux, belliqueux, et superbe.

Le portrait de Baudouin dans le film contraste avec celui de deux autres Occidentaux, Renaud de Châtillon et Guy de Lusignan, étant présentés comme les fauteurs de trouble d’une entente fragile (qui, de fait, n’est que fiction), entre le Roi et Saladin. Renaud de Châtillon est à l’époque le Seigneur d’Outre-Jourdain (fleuve situé en Terre Sainte), et sa biographie ressemble plus à celle d’un pillard qu’à celle d’un croisé animé par la foi. Proche des Templiers, il mène de véritables opérations de massacres contre des caravanes de pèlerins musulmans, sur terre comme sur mer, ce qui attise la fureur de Saladin. La légende, plus que les faits historiques, raconte, comme le montre le film, que ce dernier le décapita en personne. Guy de Lusignan fut également fait prisonnier, victime de sa présomption de supériorité sur l’ennemi, lui qui était devenu Roi de Jérusalem, non pas directement après Baudouin comme l’affirme le film mais après une courte régence et la mort de Baudouinet, Roi-enfant. De fait, Guy n’est pas l’arrogant opportuniste mais plutôt une personnalité effacée qui laisse les autres décider pour lui. Ce duo d’occidentaux est dépeint de façon plus péjorative que Baudouin, (Renaud le fou furieux, et Guy l’ambitieux), ce qui est très certainement une exagération de la réalité. Mais il faut, dans les films américains, des personnages contrastés : les valeureux (Balian et Baudouin) face aux immoraux (Renaud et Guy).

Quant à Balian, son personnage est construit à partir d’un tissu d’inventions et de mythes. Du véritable Balian, il ne porte que le nom : s’il est bien celui qui défendit Jérusalem contre Saladin et obtint un retrait des hommes qu’il protégeait dans des conditions décentes, il n’eut pas de relation amoureuse avec la fameuse Sybille, épouse de Guy et sœur de Baudouin (mais dans ce genre de film, il faut toujours une romance !), ne fut pas forgeron ni même bâtard d’un noble chevalier, mais bien héritier légitime. Jamais d’ailleurs un modeste artisan n’aurait se hisser dans de telles sphères, ni détenir d’ailleurs de notions d’irrigation et de stratégie comme le Balian du film. Mais cela prouve, une nouvelle fois, que dans toutes les fictions, le héros d’extraction modeste, vilain petit canard, retire plus de gloire à triompher que celui qui nait avec une cuillère en or dans la bouche. Cela exalte son courage et sa valeur.

En définitive, Kingdom of Heaven, de Ridley Scott, affiche un visage paradoxal d’un film spectaculaire visuellement dans sa façon de reconstituer les lieux, les décors, les batailles de l’époque, mais qui laisse totalement de côté d’importantes vérités pour servir sa propre narration, son propre dynamisme. Les choix qui ont été faits, notamment le manichéisme des bons et des mauvais croisés, ou encore le traitement de Balian, laisseront les historiens très dubitatifs, car il faut dire que ces positions ne peuvent ni se concevoir, ni se défendre avec des faits avérés. Contrairement à d’autres réalisateurs, Ridley Scott ne s’est pas servi de l’Histoire pour éclairer ses spectateurs, ou alimenter un débat, mais plutôt pour générer un spectacle qui lui est au rendez-vous.

 

Pour aller plus loin:

-René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem.
-Gerald Messadié, Saladin chevalier de l’islam.
-Pierre Aubé, Un Croisé contre Saladin, Renaud de Châtillon.
-Alain Demurger, Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen Âge.

 

 

Kingdom of Heaven – Sortie le 4 mai 2005
Réalisé par Ridley Scott
Avec Orlando Bloom, Liam Neeson, David Thewlis
L’aventure extraordinaire d’un homme ordinaire, précipité dans un conflit qui va durer des décennies : les croisades.
Etranger sur une terre qui lui est étrangère, il va servir un roi condamné, s’éprendre d’une troublante et inaccessible reine avant d’être fait chevalier.
Il lui faudra protéger les habitants de Jérusalem, dont une immense armée a entrepris le siège, sans jamais cesser de lutter pour maintenir une paix fragile…

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3 Comments

  • par Gaétan PERREAU
    Posté mardi 30 août 2011 15 h 31 min 0Likes

    Je me permets de réagir à une phrase qui me hérissera toujours autant les poils du dos : « malgré un budget qui se traduit dans la réalisation par la mise en place d’éléments de reconstitution historique assez impressionnants »

    Je suis historien passionné et fervent pratiquant de reconstitution historique médiévale( rien à voir avec le jeu de role grandeur nature ) et après avoir potassé un minimum le sujet depuis déjà quelques années, je peux vous affirmer que les décors, costumes et matériels militaires présents dans les films de Ridley Scott sont à des années lumières d’une quelconque reconstitution historique. L’article met d’ailleurs très bien en avant ce rock&roll factuel historique qu’est kindgom of heaven…mais cela va tellement au delà des faits. Les costumes civils, militaires, les armes, jusqu’au techniques de combat…le tout est un espèce de n’importe quoi généralisé sourcé sur des boites de playmobils avec des combats à la sauce pub prince de lu. En somme, je trouve juste scandaleux qu’avec les budgets brassés par ce genre de super productions, ils ne trouvent pas le moyen de rendre un tant soit peu crédible ce qu’était la période médiévale, alimentant de ce fait toujours plus copieusement les clichés qu’ont le quidam sur quand même 1000 ans de notre histoire ! Quand je pense que le pere Ridley balançait à chacune de ses interviews sur son robin des bois que c’est un passionné par l’époque médiévale…on ne doit décidément pas avoir la même notion de passion….

    Gaétan, un lecteur qui n’aime pas qu’on fasse du mal à sa période bien aimée.

  • par Robin
    Posté mercredi 31 août 2011 13 h 23 min 0Likes

    Cher Gaétan,

    Merci pour cette réaction. En effet, nous n’avons pas accordé aux costumes et aux batailles l’intérêt qu’ils méritaient pour nous concentrer sur les faits et les personnages, et voir comment ils évoluent entre les mains de Ridley Scott… Cela nous a sûrement amené à affirmer quelque chose de pas tout à fait exact, et là-dessus je m’en remets à votre connaissance du sujet. Je peux comprendre cet agacement d’autant plus que je le ressens en voyant certaines « reconstitutions » de l’Antiquité. Nous y reviendrons sûrement le jour où il faudra évoquer Gladiator.
    Je me permets néanmoins de souligner que dans Kingdom of Heaven, les costumes, les décors, aussi peu fiables soient-ils, servent une certaine esthétique, une ambiance évocatrice d’une époque et d’une région… En ce sens, cela nous a paru assez réussi. C’est sous doute – et c’est bien compréhensible – moins du goût des puristes et connaisseurs de la période médiévale.
    N’hésitez pas à vous manifester sur nos autres articles, ou à me contacter (robin.caillot@gmail.com) pour d’autres remarques, critiques, etc.

  • par Gaétan PERREAU
    Posté jeudi 1 septembre 2011 11 h 57 min 0Likes

    Vous avez déjà fait du super boulot. C’est pas souvent qu’on a des gens qui prennent la penne de creuser un peu plus profondément les films historiques et surtout qui ne les prennent pas comme paroles d’évangiles ( « mais si cette épée est médiévale, Mel Gibson se bat avec des braveheart ! » ). Donc rien que pour ca, je salue vraiment l’initiative.

    Alors sinon pour réagir au deuxième paragraphe, je suis tout à fait d’accord avec toi Robin, KoH est un film qui a une sacré gueule, l’esthétique envoie du steak et les scènes de sièges sont super punchy ! Et là y’a un mot que tu as utilisé qui me plait bien : « évocation ». On va dire que je pinaille, mais pour moi là est toute la clé du probleme. Le cinema evoque souvent mais ne reconstitue jamais.

    Au delà de ça, Koh est un super film d’action/aventure qui evoque bien l’ambiance XIIeme en terre sainte, un peu comme l’avait fait Assassin’s creed sur le support videoludique. Et là, même principe, si le costume d’Altair à rien d’histo, ca n’ampeche que je le trouve à tomber.

    En tout cas, si vous avez besoin d’infos sur le costume militaire et civil du M-A pour un prochain article, n’hésitez pas à me demander, je me ferai un plaisir de filer un petit coup de pouce atomiseur de cliché !

    Continuez comme ca les gars !

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