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SF Allemande #4 : ruines, nanars et auteurs en RFA

4e partie de notre gros dossier consacré au cinéma de science-fiction allemand de ses origines à nos jours.

Après avoir évoqué le genre jusqu’aux années 80 en République Démocratique Allemande, faisons un saut en arrière pour revenir à l’après-guerre – mais cette fois de l’autre coté du rideau de fer pour remonter une nouvelle fois le temps et découvrir ce qui se passait en RFA.

Pays en reconstruction, plan Marshall d’abord, Perry Rhodan et Roland Emmerich ensuite sont donc au programme…

 

 

LE CINEMA DE SF ALLEMAND

4 – Ruines, nanars, auteurs et renaissance en RFA

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les plus grandes villes allemandes sont rasées. Les bombardements ont détruit la vaste majorité des infrastructures et l’économie du pays est inexistante. Le plan Marshall mis en place dès 1948 par les États-Unis permet de réinsuffler une énergie à l’industrie de la République Fédérale Allemande, et en quelques années, la croissance du pays fait pâlir celles de la France et du Royaume-Uni, tandis que la plupart des villes ont regagné leur intégrité à l’aube des années 1960. La situation est pourtant bien différente dans le milieu cinématographique.

Ne bénéficiant bien entendu d’aucune aide gouvernementale, les quelques producteurs allemands doivent également, à la fin des années 1940, faire face à une invasion planifiée du marché par les œuvres hollywoodiennes, qui ne laissent pas passer leur chance d’inonder un pays dont l’industrie locale est en ruines. Ainsi, le marché est saturé de produits américains tout au long des années 1950 et les studios allemands doivent se contenter de produire des films modestes, peu ou pas exportables. De plus, les infrastructures de production autrefois utilisées par le régime nazi se trouvent dans la partie attribuée aux Soviétiques, ce qui prive les deux nouveaux centres cinématographiques de l’ouest (Munich et Hambourg) de capacités logistiques importantes. Pour survivre, les films doivent alors être produits à moindre coûts et parler au public allemand d’une manière inconnue aux blockbusters hollywoodiens, c’est pourquoi le genre du « heimatfilm » (qu’on appelle en France le film de terroir) connaît son apogée au lendemain de la guerre : la simplicité du cadre et l’affirmation de l’identité allemande rassurent un public devant faire face à de multiples crises.

Ainsi, mis à part un troisième remake de la très populaire fable fantastique d’Alraune en 1952, assez peu de films ouest-allemands s’approchent des concepts science-fictionnels avant la fin de la décennie. Parmi les exceptions, il convient toutefois de relever Der Herr vom anderen Stern (L’homme à l’étoile changeante) de Heinz Hilpert, sorti en 1948, et mettant en scène un extra-terrestre capable de voyager sous forme d’étoile filante. S’incarnant sur Terre sous l’apparence d’un homme quelconque, il est vite repéré par les autorités et par une charmante jeune femme pour sa capacité à dupliquer les objets et altérer la réalité. Ce film sert avant tout de comédie bon-enfant s’inscrivant dans une tradition que Heinz Rühmann, l’acteur principal, perpétue depuis de nombreuses années. Difficile toutefois de ne pas rapprocher cet alien bienfaiteur de la figure américaine au lendemain de la guerre, apportant argent et renouveau. Autre curiosité rarissime et sans lendemain : Der ideale Untermieter (« Le parfait locataire ») de Wolf Schmidt, sorti en 1957 et racontant visiblement l’histoire d’un petit garçon dont l’amitié avec un robot est jugée malsaine, menant donc à la réalisation d’un traitement de choc sur l’enfant pour lui faire oublier son ami.

En 1959, le réalisateur Victor Trivas présente son film Die Nackte und der Satan (La femme nue et Satan), dont le synopsis semble tout droit sorti d’un film d’horreur américain de la même période. Jugez plutôt : un scientifique invente une formule permettant de maintenir une partie des tissus en vie même après la mort. Trahi par son assistant, le savant se fait décapiter et sa tête est gardée éveillée par son propre produit miracle. Impuissant, il est forcé d’assister au déroulement du plan de son assistant, qui souhaite greffer la tête d’une bossue sur le corps d’une danseuse exotique. Le concept sied parfaitement aux séries Z produites par dizaines aux États-Unis, y compris The Brain That Wouldn’t Die (Le cerveau qui ne voulait pas mourir), sortant dans la foulée. Cependant, force est de constater que l’entreprise arrive à un résultat assez différent du nanar escompté, tant les partis pris graphiques et narratifs tentent de ranimer des aspects fondamentaux du cinéma allemand d’autrefois. Traitant son sujet avec un sérieux déroutant, Trivas transforme son idée en thriller hypnotique usant de codes esthétiques empruntés au mouvement romantique d’entre-deux guerres, tandis que son concept arpente les frontières floues entre horreur, fantastique et critique scientifique acerbe, comme le faisait en son temps la première adaptation du roman Alraune : Alraune, die Henkerstochter, genannt die rote Hanne (Mandragore) en 1918.

Cette curiosité revitalise alors en partie le cinéma de genre allemand, qui ose s’aventurer sur le terrain de l’anticipation dans les années suivantes au travers de films isolés mêlant les genres, pas toujours pour le meilleur des résultats néanmoins. On peut peut-être écarter le diptyque Herrin der Welt (Les mystères d’Angkor), production internationale de 1960 réalisée par l’allemand Wilhelm Dieterle, car le MacGuffin scientifique utilisé n’intervient réellement qu’en début d’histoire comme élément déclencheur du film d’aventure.

Le premier véritable émule du film de Trivas sort en 1960 sous le titre Ein Toter hing im Netz (Le mort dans le filet) et s’est depuis forgé une solide réputation de nanar dans le monde entier. Sorte d’exagération de tous les défauts que peut bien présenter le cinéma d’exploitation, ce film d’horreur, si l’on ose ainsi l’appeler, repose avant tout sur le voyeurisme et les effets spéciaux maison propres au sous-genre auquel il est désormais rattaché. Scénario-prétexte, jeunes femmes peu vêtues, dialogues au mieux indigents et monstre en plastique, rien n’est oublié. Malgré tout, il s’agit peut-être de la première production de genre exclusivement allemande cherchant à s’exporter suite à l’effondrement de l’industrie. Quelques années plus tard, en 1967, une autre production aux saveurs nanardesques voit le jour en RFA : Das Geheimnis der Todesinsel (La baron vampire), dans lequel un groupe de touristes inconscients tombe dans les griffes des plantes carnivores élevées par un baron scientifique des plus vils.

Les années soixante sont donc ponctuées d’une poignée de films correspondant de près ou de loin au genre de la SF. Scotland Yard jagt Dr. Mabuse (Le Dr. Mabuse contre Scotland Yard) de Paul May sort en 1963 pour prolonger les aventures du sinistre criminel en faisant voyager son esprit de corps en corps. Dérobant une invention lui permettant de contrôler autrui, Mabuse ourdit la chute du gouvernement britannique. À quelques mois près sort un nouveau film sur l’homme invisible, Der Unsichtbare de Raphael Nussbaum, désormais peu accessible et complètement oublié. L’année suivante, un petit film assez révélateur apparaît : Der Chef wünscht keine Zeugen (« Le patron ne veut aucun témoin »), des cinéastes Hans Albin et Peter Berneis. Celui-là met en scène un groupe d’extra-terrestres complotant pour remplacer les plus importantes figures politiques du monde et déclencher une guerre nucléaire. Très bavard, le film présente néanmoins les deux blocs de la guerre froide comme étant victimes de l’invasion et traduit fidèlement le climat de paranoïa déjà magistralement illustré en Amérique avec L’invasion des profanateurs de sépultures, choisissant cette fois de se positionner dans un contexte politique. En 1967, le troisième volet d’une trilogie de films familiaux, Herrliche Zeiten im Spessart (« Merveilleux moments dans le Spessart ») implique un voyage dans le temps afin d’introduire quelques gags de situation pour tenter de renouveler sa formule comique.

Occurrence de plus ample intérêt culturel dans cette décennie : Perry Rhodan: SOS Aus Dem Weltall (4, 3, 2, 1… objectif lune !) est une coproduction italo-hispano-allemande basée sur le héros d’une série de livres de science-fiction germanophone (depuis devenue la saga de space opera la plus volumineuse au monde avec plus de 2 600 tomes) réalisée par Primo Zeglio et sortie en 1966. Il s’agit de la première production de space opera en RFA, alors mêmes que la RDA avait proposé la sienne six ans plus tôt. La saga Perry Rhodan débute en 1961 et s’impose vite comme un incontournable de la SF pulp aux concepts étranges et aux affrontements cosmiques développés, au détriment de personnages monolithiques et d’aspects fortement teintés des travers déjà observés dans les premières années de la SF américaine moderne (racisme latent, interventionnisme ethnocentrique, sexisme sous-entendu, etc.). La série s’affine à partir des années 1970 en cessant de s’adresser uniquement aux enfants et aux adolescents. Le film sorti en 1966 n’a finalement pas grand-chose à voir avec l’univers d’aventures interplanétaires des romans (budget oblige), mais il est intéressant parce qu’il s’appuie sur une institution de la culture populaire allemande pour ensuite imiter les films de SF américains. Ainsi, beaucoup de poncifs du genre sont réutilisés sans grand talent : vaisseaux spatiaux indestructibles, aliens sexy, héros caucasien intrépide, tout du moins jusqu’à ce que le film ne glisse vers une parodie involontaire de James Bond.

Au final, l’essai transformé de Victor Trivas en 1959 ne ranime que partiellement l’intérêt des studios ouest-allemands pour le genre fantastique et SF au travers de films anecdotiques et malhabiles. Il faut attendre les années 1970 pour que des cinéastes commencent à s’atteler sérieusement au remaniement des codes concernés et à proposer des œuvres réellement discursives. Il n’est alors pas étonnant de remarquer que les cinéastes en question sont surtout des figures proéminentes d’un mouvement appelé Nouveau cinéma allemand, qui naît au milieu des années 1960, suite à l’émergence de la Nouvelle vague française sur le cinéma international. Ces réalisateurs comptent Alexander Kluge, Peter Fleischmann ou encore Rainer Werner Fassbinder.

Par conséquent, dès 1970, le nombre de films produits en RFA et s’appuyant sur un concept de SF pour développer leur intrigue augmente radicalement. Ainsi, de nombreux métrages de ce style voient le jour, des comédies satiriques (avec en tête, Warum die UFOs unseren Salat klauen ou « Pourquoi les soucoupes volantes mangent-elles nos salades ») aux soft-pornos fantastico-parodiques (par exemple, « Les amazones de Vénus », de 1974, même si le titre anglais 2069: a Sex Odyssey est autrement plus racoleur – mais sérieusement, pensez-y pour vos soirées détendues).

La première œuvre proposant une critique sociétale au travers de l’anticipation est le téléfilm Das Millionenspiel (Le jeu des millions), diffusée en 1970 et qu’il est important de mentionner pour son statut de premier représentant d’un genre de films de SF davantage tournés vers le développement d’un concept futuriste que vers le divertissement. Das Millionenspiel adapte la nouvelle Le Prix du danger quelques 13 ans avant le film éponyme d’Yves Boisset, anticipant l’avènement des jeux de télé-réalité, illustré par le succès ravageur d’un jeu dans lequel le candidat doit survivre une semaine alors qu’il est pourchassé par un groupe d’assassins. Présenté comme authentique à la télévision allemande, il paraitrait que plusieurs personnes aient pris le jeu pour argent comptant et essayé de s’y inscrire.

Très vite alors, les cinéastes du Nouveau cinéma allemand tentent de proposer des films politisés, généralement produits pour peu d’argent et souvent expérimentaux. Thomas Schamoni ouvre le bal en 1970 avec Ein großer graublauer Vogel (« Un grand oiseau bleu-gris ») dans lequel une équipe de journalistes tente de retrouver des scientifiques qui ont mis en place un code secret pour dissimuler la solution à leur découverte (une arme capable de manipuler l’espace-temps) dans un poème de Rimbaud. Captation naturaliste et dé-esthétisante, narration inhabituelle et en dents de scie, ou propos métaphysique sur le rapport de l’imaginaire au monde réel, le film de Schamoni rappelle par bien des aspects la Nouvelle vague française.

Arrive alors le jeune Alexander Kluge, cinéaste peu expérimenté mais aux idées grandioses. N’ayant pas froid aux yeux, Kluge écrit et réalise deux films de space opera… complètement fauchés. Le diptyque Der große Verhau / Willi Tobler un der Untergang der 6. Flotte (« Le grand désordre/Willi Tobler et la chute de la 6e flotte ») sort en 1971-72 pour nous présenter un futur spatial corporatiste et corrompu jusqu’à la moelle, dans lequel l’espace se révèle simplement être un nouveau territoire à vampiriser économiquement. Sorte de réponse anticapitaliste au 2001 de Kubrick (du moins dans l’idée), les films de Kluge n’ont pas les moyens financiers de dépasser leur statut conceptuel et n’ont finalement pas grand-chose de cinématographique à proposer : les vaisseaux confinent les humains, forcés de vivre dans des dépotoirs volants, et de longs intertitres explicitent la situation géopolitique d’arrière-plan. Du cinéma d’auteur sans moyen en somme, qui confirme l’existence d’une frange rebelle de réalisateurs envieux d’ouvrir le débat sur les possibilités de la science-fiction, sans toutefois parvenir à présenter une véritable proposition artistique.

La première œuvre formellement remarquable vient de Rainer Werner Fassbinder, dont le double téléfilm Welt am Draht (Le monde sur le fil) est diffusé en 1973. Adaptant le roman Simulacron 3, cette mini-série met en scène un système complexe de réalités virtuelles entremêlées et s’étend longuement sur les questions éthiques, scientifiques et métaphysiques découlant de la perception du réel. Pas vraiment punk, mais bel et bien « cyber », le métrage de Fassbinder représente une forme d’intellectualisation et d’exploration du concept de SF ici manipulé. Enrobé d’une réalisation sérieuse et d’un production design réussi, Le monde sur fil prédate finalement les œuvres de réalité virtuelle aujourd’hui reconnues, telles que Matrix, eXistenZ ou Dark City, et encourage le cinéma allemand à faire preuve d’ambition. Une autre adaptation du même roman (Passé virtuel) sera réalisée en 1999.

Commence alors une période très vivace pour les films de science-fiction, à tel point qu’il serait inutile de tous les lister. Parmi les plus marquants, Operation Ganymed, de Rainer Erler (1977) raconte les derniers jours d’une mission d’exploration spatiale qui, à son retour sur Terre après 4 ans d’absence, retrouve une planète désolée et abandonnée, le tout sur fond de phobies individuelles et de paranoïa anti-communiste. Deux ans plus tard, Peter Fleischmann réalise Die Hamburger Krankheit (La maladie de Hambourg), film préfigurant de nombreuses fictions mettant en scène les résultats d’une épidémie létale incontrôlable sur la population. Kamikaze 1989 du cinéaste Wolf Gremm sort en 1983 et tente de dénoncer, assez platement malheureusement, une société ultra-contrôlée par des médias conditionnant la pensée unique.

En 1984, un certain étudiant en cinéma nommé Roland Emmerich réalise son film de fin d’études pour plus d’un million de deutschemarks : Das Arche-Noah-Prinzip (Le principe de l’arche de Noé), qui bien que salué pour une certaine maîtrise technique, est critiqué pour ses défauts d’écriture et sa propension à réutiliser mollement certains poncifs de la SF américaine. Emmerich continue ensuite sur sa lancée de manière assez isolée, produisant et réalisant ses premiers films de SF en Allemagne et en langue anglaise (Joey, Hollywood Monster et Moon 44) avant de parvenir à ses fins : travailler aux États-Unis.

Le dernier grand projet ambitieux du cinéma de SF allemande pré-unification est une coproduction avec la France et… l’Union Soviétique ! Un dieu rebelle (Es ist nicht leicht ein Gott zu sein) est une adaptation d’un roman des frères Strugatsky qui ambitionne d’explorer, sur deux heures, la problématique de l’ingérence des sociétés technologiquement avancées sur les peuples moins développés. Métaphore fonctionnant aussi bien à travers le microscope de la colonisation que celui de la guerre froide, Un dieu rebelle reste aujourd’hui encore un fascinant vestige de la volonté de produire, en Europe, des fresques science-fictionnelles puissantes et aux propos pertinents. Réalisé par Peter Fleischmann, le film bénéficie d’une fabrication soignée et d’une réalisation appliquée, bien que ses problèmes de financement aient empêché la majesté des dessins préparatoires de se retrouver à l’écran. Le scénario, signé par le prolifique Jean-Claude Carrière, se présente sous la forme d’une aventure exotique fortement empreinte de questionnements philosophiques nombreux, de la responsabilité individuelle à faire changer le monde, au futur d’une humanité vivant de sa technologie. Victime des bouleversements socio-économiques du début des années 1990, ce dernier grand projet de SF en RFA passe totalement inaperçu à sa sortie, et ce même dans ses pays producteurs.

Ainsi, la résurrection de la science-fiction dans l’Allemagne de l’Ouest n’aura pas été sans accrocs. De rares cinéastes talentueux s’essaient au genre au lendemain de la guerre qui a ravagé le pays et presque fait table rase de ses capacités de production cinématographique. Grâce à eux, une sous-culture de séries B et Z parvient à venir au monde et à profiter des films américains pour les singer, jusqu’à ce que les années 70 et leurs jeunes auteurs décident de s’emparer de ses poncifs pour composer leurs expérimentations. Il faut attendre les années 80 et le crépuscule de la désunion germanique pour voir émerger une poignée de projets réellement ambitieux et discursifs, dont l’influence se ressentira encore sur certains films post-unification.

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