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Critique : Boyhood

L’autre film à voir cette semaine ne contient aucune scène de combat à grande échelle ni séquences animées par un studio californien. Mais il a nécessité douze ans de tournage.

Douze années pendant lesquelles, régulièrement, le réalisateur Richard Linklater a réuni devant sa caméra Patricia Arquette et Ethan Hawke mais aussi le jeune Ellar Coltrane qui a accepté qu’on le film pendant toute son adolescence.

Un pari étonnant et difficile à monter dont le résultat à l’écran ne peut être que surprenant.

 

Richard Linklater est un de ces cinéastes américains discrets et à la carrière pourtant dense. Capable d’adapter du Philip K. Dick sous influence (A Scanner Darkly), d’autopsier la vie de couple à travers le temps (Before Sunrise/Sunset/Midnight) ou de s’en prendre à l’industrie de la malbouffe (Fast Food Nation), l’homme n’a eu de cesse de se réinventer au terme d’une filmographie parmi les plus éclectiques du paysage indé actuel. Et pourtant, son film le plus important est peut être Boyhood, fruit d’un projet complètement fou : suivre un gamin pendant les années les plus importantes de sa vie, celles de son adolescence…

12 années ont été nécessaires pour faire Boyhood, durant lesquelles l’équipe se retrouva pour un mois de tournage tous les ans, au fil d’un script dont la structure était établie depuis le début, mais que le réalisateur/scénariste adaptait au fur et à mesure pour être en accord avec son jeune acteur, les autres comédiens et l’air du temps. Un travail d’orfèvre et de précision pour ce projet singulier dont l’infinie cohérence, formelle et artistique, frappe rapidement.
En effet, Boyhood a été filmé au beau milieu de la révolution digitale, alors même que de la caméra au banc de montage en passant par à peu près tous les stades de la post-production, tout est passé au numérique. Choisissant dès le début d’adopter le 35mm, jusqu’à avoir du mal lors des dernières années à se fournir en pellicule (!), Linklater impressionne déjà par la tenue de sa mise en scène du début à la fin. On aurait pu penser que la carrière et l’âge fassent évoluer le point de vue du cinéaste au fur et à mesure du film, l’homme derrière la caméra ayant aussi mûri, et pourtant on est bien face à un film cohérent de bout en bout, homogène visuellement, qui reste au plus proche de ses personnages et veille bien à garder une esthétique unique.

D’une infime élégance, Boyhood tente de s’approcher tant que possible de la vision de son héros, et si évolution il y a dans la réalisation, c’est uniquement en accord avec le regard du personnage.
Pour ne pas être à la ramasse avec les changements constants du temps, Linklater a su travailler étroitement avec l’acteur Ellar Coltrane pour que le film soit en phase avec son temps et les goûts du garçon. Outre la bande son qui adopte les standards de la décennie (la BO passe de Coldplay à Arcade Fire, d’Aaliyah à Lady Gaga, ou encore de Gnarls Barkley aux Kings of Leon !), Linklater ancre puissamment sa fiction dans le réel en suivant les modes (on assiste notamment à la sortie d’un tome d’Harry Potter !) et s’adapte à l’arrivée de la technologie, les gamins tombant dans les réseaux sociaux, les iPod et toutes les nouveautés qui ont marqués la période de tournage.
Cette crédibilité accrue participe vivement à la sensation de réel que le film nourrit à un niveau incroyable pour une fiction. Car malgré tout son attirail quasi documentaire, Boyhood reste bel et bien une fiction qui parvient à justement dépasser les limites conventionnelles dans le rapport entre une œuvre et le spectateur.

Parce que tous les acteurs se sont prêtés au jeu, dans un exercice par ailleurs assez casse gueule (garder le même rôle 12 ans d’affilée, fallait oser !) et parce que le film évolue sans jamais mettre en avant son procédé, tout en faisant preuve d’un naturel absolument déconcertant, l’histoire qu’il raconte devient rapidement universel pour quiconque a grandi dans une société occidentale.
Le décorum américain est peut-être la seule limite qu’on peut noter quant à l’identification des spectateurs, puisqu’on imagine sans mal que des hommes ayant vécu dans un milieu aux coutumes et aux problématiques différentes (en Asie par exemple) auront plus de mal à se projeter.
Ce que raconte Boyhood, ce n’est ni plus ni moins que l’adolescence d’un enfant que l’on voit grandir en passant par toutes les étapes existentielles des années les plus importantes de sa vie.
La période où ses goûts s’affinent, où son caractère et son identité s’affirment, et où son parcours finit par définir l’homme qu’il deviendra pour le reste de sa vie.
Les galères de sa famille recomposée, la découverte de ses passions, de l’amour, de l’amitié, de la réussite ou de l’échec, tout ce qui constitue l’âge ingrat et pourtant fondateur passe devant la caméra de Linklater, dont l’objectif principal est peut-être de capter tout ça pour la première fois intégralement, en minimisant au maximum la barrière de l’écran par le réalisme de l’environnement qu’il filme. Pour comprendre un peu plus les mystères de la croissance et le cheminement intérieur par lesquels on est tous appelés à passer un jour ou l’autre. Ou plus simplement pour s’émerveiller à nouveau devant les merveilles de la vie et ses galères aussi.

Décrire les sensations procurées par Boyhood est délicat tant c’est un film dans lequel on se projette énormément, avec lequel on crée un lien intime puisque la vie de ce garçon devenu jeune homme recoupe forcément un moment ou un autre avec le parcours de chacun.
On peut d’ailleurs défier quiconque de ne pas se reconnaître à un moment ou un autre dans cette œuvre généreuse, ambitieuse et jamais plombante, qui a en plus le chic de ne donner à aucun moment dans les sentiments surannés et grossiers.
Fait d’une authenticité démentielle du début à la fin, d’une délicatesse inouïe et d’une intelligence rare dans sa peinture de la vie, Boyhood finit par couvrir à lui seul l’intégralité du spectre émotionnel adolescent. Quand on sait que c’est la période dans laquelle on découvre la vie de plein fouet, c’est peu dire le petit miracle accomplit…

Quand la réalité se marie totalement à la fiction pour livrer le meilleur de chacun, Linklater explose le concept de cinéma vérité et en repousse les limites comme personne. Témoignage quasi documentaire de toute une génération, œuvre d’une fabuleuse justesse sur les rapports humains et concept d’une ambition folle croisée d’une sincérité de chaque instant, Boyhood a réussi à cristalliser le cœur de l’enfance et de l’adolescence pour donner au final l’impression de grandir à nouveau.
Une occasion de redécouvrir la vie en 2h45, tout simplement.

 

Boyhood – Sortie le 23 juillet 2014
Réalisé par Richard Linklater
Avec Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke
Chaque année, durant 12 ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni les mêmes comédiens pour un film unique sur la famille et le temps qui passe. On y suit le jeune Mason de l’âge de six ans jusqu’ à sa majorité, vivant avec sa sœur et sa mère, séparée de son père. Les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte…

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1 commentaire

  • par ТНОМ РЯИ
    Posté lundi 21 juillet 2014 13 h 58 min 0Likes

    Le film majeur de l’été voire de l’année.

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